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Une peinture abstraite transcendante et hors du temps, par un prêtre-artiste et homme engagé dans son temps.

André Gence. Peinture. Carrés de gris.

André Gence. Peinture.

Quand on pense à la peinture provençale de la seconde moitié du XXe siècle, et plus particulièrement la scène créative marseillaise de l’immédiat après-guerre jusqu’aux années 70-75, il nous vient immédiatement à l’esprit le mouvement, si riche et divers, des expressionnistes provençaux, ces « fauves » du Midi, dont la figure la plus emblématique – et la plus connue – est Pierre Ambrogianni.

Il semble que la peinture « moderne » et la peinture abstraite, pourtant dominante aux plans national et international en ces temps-là, ait eu peu de praticiens par ici. Est-ce parce que nombre de grands noms de ces mouvements, dont les Picasso, Braque, Matisse, Chagall et autres, vieillissant et repus en notoriété, s’étaient retirés en Provence et sur la Côte d’Azur, ne laissant que peu d’espace aux nouveaux créateurs ? Est-ce parce que la pureté crue de la lumière, qui sculpte les formes et fait crier les couleurs, cette lumière justement qui a attiré tant d’artistes venus d’ailleurs, nous rend plus intensément présents à la vie vraie, aux palpitations et tentations du réel et nous éloigne d’une abstraction ressentie, sous nos cieux si purs, comme trop intellectuelle ?

Il est pourtant un artiste, un peintre marseillais, dont l’œuvre plastique, entièrement abstraite, d’une grande sensibilité, est habitée par la lumière, mais une lumière intérieure, intériorisée, entièrement tournée vers l’Esprit.

Peinture d'André Gence. Abstraction en rouge.

Peinture d’André Gence.

André Gence est né à Marseille en 1918 ; il y est mort en 2009. Entre ces deux dates, une vie dense, intense, emplie par l’expérience de la foi, de la création et de l’art, et par un engagement constant envers les hommes ; engagement bien ancré dans le réel et l’action, en particulier l’action tournée vers les plus humbles et les plus fragiles, ceux qui souffraient de la misère, des guerres et de l’injustice.

André Gence était prêtre. Pleinement prêtre et pleinement artiste. Prêtre, artiste et homme ; homme engagé dans son temps et dans tous les combats pour la liberté et l’égalité.

Photo d'André Gence. Marseille. 1993. Photo Serge Panarotto.

André Gence. Marseille. 1993.

Croix de guerre gagnée au combat pendant la « drôle de guerre », démobilisé il entre dans l’Administration et devient adjoint du préfet des Bouches-du-Rhône. Mais il n’accepte pas ce monde et ce temps, en 1943, il quitte cette vie dans laquelle il ne se reconnaît pas pour suivre une autre voie, celle que lui dicte sa foi : il entre au séminaire. En 1948, il est ordonné prêtre et rejoint la Mission de France. Nommé dans la paroisse Saint-Michel, à Marseille, avec quelques autres, il la transforme en une paroisse missionnaire ; mais une mission au service du petit peuple des quartiers et des ouvriers. Sa participation au Mouvement pour la Paix (proche du Parti communiste) lui vaut les foudres de son évêque et, en 1957, il est chassé de Marseille. Exilé à Paris, il exerce son ministère comme aumônier à l’hôpital Cochin et amplifie son engagement. Il acquiert des responsabilités au sein du Mouvement pour la Paix et prend position fermement contre la guerre d’Algérie et pour l’indépendance de ce pays.

Peinture d'André Gence. Abstraction fenêtre et couleur.

Peinture d’André Gence.

C’est à cette époque que, parallèlement à ses activités religieuses et militantes, il se remet à la peinture, qu’il avait pratiquée plus jeune. Peu à peu l’art prend de l’importance dans sa vie ; vite reconnu comme artiste à part entière, il en vit et grandit en notoriété.

Rappelé à Marseille en 1984, il y crée une association « Foi et Culture » qui établit des liens entre l’Église et le monde artistique sans jamais oublier ses engagements envers les plus pauvres et les déshérités : il travaille avec ATD Quart Monde et organise des ateliers d’art pour les jeunes dans les quartiers défavorisés.

Peinture d'André Gence. Abstraction gris et carré de lumière.

Peinture d’André Gence.

Peintre, sculpteur, verrier, André Gence a exposé ses toiles abstraites aux quatre coins de France ainsi que dans plusieurs pays (Suisse, Roumanie, Japon, Corée, Etats-Unis…). Une part importante de son œuvre se compose également de décors architecturaux et de vitraux aux formes et aux lignes très épurées, signes manifestés dans la matière de sa Foi et de sa foi en l’Esprit. Ils ornent quelques bâtiments publics, de nombreuses églises et plusieurs institutions religieuses. Selon la même esthétique et selon le même esprit de transcendance qui l’animait, il a aussi créé du mobilier liturgique : croix, autels, ambons et tabernacles.

Croix. Décor créé par André Gence. Centre œcuménique, à Vars (Hautes-Alpes). Photo Serge Panarotto.

Croix créée par André Gence. Centre œcuménique, à Vars (Hautes-Alpes).

Peinture d'André Gence. Abstraction en beige et rouge.

Peinture d’André Gence.

Sa peinture, toujours abstraite, ne demande ni à être comprise, ni apprise, ni interprétée, mais à être perçue, reçue, ressentie, acceptée simplement comme un don, un signe. Géométrie diffuse, agencement mouvant de carrés fondus en une surface aux chromatismes subtils en son cœur déchirée par la cicatrice d’une blessure ; dépôts de lumière coagulée en des fonds sombres, riches de transparences accumulées jusqu’à l’opacité et, en son cœur, toujours, la trouée salutaire d’une ouverture, d’une fenêtre vers un ailleurs : espace ? Ciel ? Esprit ? Âme ? Dieu ? Abstraction spirituelle. C’est par ces mots que je caractériserais la peinture d’André Gence, s’il était seulement possible d’ainsi réduire son œuvre.

À sa mort, en 2009, André Gence à légué son œuvre au diocèse de Gap qui en est désormais le dépositaire et le gestionnaire. Quand Marseille rendra-t-elle, par une grande exposition, l’hommage qu’il mérite à cet enfant de la Ville, certes un peu turbulent, mais ô combien talentueux et dont la force d’âme et la générosité ont été exceptionnelles ?

André Gence. Gravure. Colombe.

André Gence. Gravure.

Citations

« Au niveau de ce qu’on appelle les valeurs essentielles de l’Art, l’artiste n’a aucun rôle dans la société. Malgré cela, nous sommes engagés. Notre art nous oblige à nous engager. En tant qu’artistes, et en tant que citoyens, nous prenons nos responsabilités. Mais ce n’est pas parce que nous sommes artistes que nous sommes engagés, c’est parce que nous sommes des hommes responsables. Là où il faudrait arriver, c’est à ce que l’on s’engage parce que l’on est artiste et parce que l’on accepte pas le système dans lequel on vit. »

« L’art fait la jonction entre le physique et le spirituel. »

« …Tu sais pourquoi on peint ? C’est pour vaincre la mort. On ne se situe pas dans un temps chronologique. On se situe dans un temps éternisé. Il y a deux moyens d’éterniser le temps : c’est l’Art et la Religion. »

           Entretien avec la revue Art-Pont, n° 1, 1993.

«L’artiste ouvre un espace. Il manifeste et voile en même temps. Il donne envie de chercher plus loin la source et de se mettre en marche. – « L’art, signe de résurrection », dans Tychique, n° 80-81. 1989.

« J’essaye d’exprimer le mystère de la vie et de la mort. Saint Jean dit : « La lumière a lui dans les ténèbres », c’est ce que je peins. Pour moi toute peinture est un acte pascal, un passage de la mort à la vie, du noir au blanc, des ténèbres à la lumière.» – «Peindre c’est lutter contre la mort», dans Lettre aux Communautés, n°141, 1990.

« J’ai été « ordonné » à un ministère. Ce n’est pas au nom de ce ministère que je m’adresse à vous, c’est au nom du peintre. Toutefois, vous le savez, dans ma vie, cela fait deux et cela fait un. Quand je vous parle, il n’y a pas confusion mais il y a fusion entre ma vie spirituelle et ma vie d’artiste, de l’artiste que j’essaie d’être.» – « Être créateur », Marseille, Éditions La Thune, 2001.

          Trois citations extraites d’un mémoire d’Anne Soncarrieu, Institut Catholique de Paris, Institut supérieur de théologie des arts. 2016.

Une réflexion sur “André Gence : peinture, abstraction et lumière de l’Esprit

  1. Quelle magnifique découverte tu m’offre là 🙏l’œuvre comme l’homme et ses engagements sont passionnant. Un seul regret, c’est de ne pas l’avoir connu. ❤️💚

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