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Site touristique religieux monumental remarquable et étonnant, Buddha Park se révèle être aussi un parcours mystique.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Photo Serge Panarotto.
Buddha Park. Tanon Tha Deua. Laos.

Buddha Park, aussi appelé Xieng Khuan ou Wat Xieng Khuang, est un parc de plus de 200 statues en béton et en briques, dont plusieurs monumentales et quelques unes colossales. Elles illustrent un univers religieux et culturel foisonnant, mêlant religion populaire bouddhiste locale et divinités, contes et épopées d’inspiration hindouiste. Mais, derrière l’écran de l’attraction touristique qu’est devenu ce parc aujourd’hui, outre l’intérêt esthétique et humain (…la performance artistique), se devine un véritable espace de méditation et un chemin d’enseignement accessible à ceux qui ont la Connaissance ou le simple désir de la Connaissance.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Photo Serge Panarotto.
Buddha Park. Laos.

Situé à Thanon Tha Deua, à 25 kilomètres à l’Ouest de Vientiane, la capitale du Laos, cet ensemble a été édifié, à partir de 1958, par Luang Pu Bunleua Sulilat, un personnage qui, sans avoir été moine bouddhiste, se révèle être à la fois un homme considéré comme saint par ses concitoyens, un conteur mystique et un artiste inspiré. La légende locale, qui en fait une sorte de chaman-prêtre et un initié, rend difficile l’établissement de sa véritable biographie. Mais qu’importe, ce qui compte, c’est l’œuvre magistrale qu’il a laissée, au Laos, puis en Thaïlande. Car, après la révolution de 1975, qui porta le communisme au pouvoir, Bunleua Sulilat a fui le Laos. Il a rejoint la Thaïlande, son pays d’origine, où il a recommencé la construction d’un parc similaire, tout aussi spectaculaire, Sala Keoku, presque en face du premier, à Nong Khai, de l’autre côté du Mékong.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Bouddhas en méditation. Photo Serge Panarotto.
Buddha Park. Laos. Bouddhas en méditation.

C’est un espace religieux, sacré à n’en pas douter, sans être un temple ; il n’y a ni pagode (temple bouddhiste) ni monastère ; il n ‘est pas desservi par des moines (bonzes) et ne possède aucune des constructions caractéristiques de monastères bouddhistes. Pourtant, l’ensemble fait penser aux jardins des grandes pagodes, si nombreux dans ce pays, avec leurs multitudes de scènes sculptées relatant la (les) vie(s) du Bouddha. Mais, ici, tout est à des échelles et des dimensions supérieures ; supérieures par les tailles, mais pas uniquement ; on aborde aussi d’autres plans religieux et mystiques. Décors, personnages et scènes contées dans le béton dépassent les canons – assez rigides il faut l’avouer – de la représentation bouddhiste. Ils mettent en scène les vies et les enseignements du Bouddha, bien sûr, mais aussi l’expression de tout un imaginaire populaire, les mythologies et la religiosité profonde qui anime (donne âme) la spiritualité dans cette partie du monde qui va de l’Inde à l’Asie du Sud-Est.

Une structure en particulier me semble même aller au-delà, car elle touche, à mon sens, à une sorte d’inconscient religieux universel.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Tour de la "citrouille". Photo Serge Panarotto.
Buddha Park. Laos. Citrouille tower.

La première grande construction du parc Buddha qui s’impose à notre vue, dès l’entrée, est appelée par les laotiens la « pastèque » ou la « citrouille » (Tour de la citrouille, Citrouille Tower). C’est un bâtiment de forme étrange, une sorte de sphère aplatie, de 6 mètres de haut, finissant en une terrasse étroite portant, à son sommet un mât, pointe effilée munie dans sa partie supérieur de bras tendus, comme une sorte d’arbre ou d’échelle pointant vers le ciel. L’ensemble est en béton gris, y compris le mât. L’intérieur est accessible ; on y pénètre par la gueule grande ouverte d’un monstre (démon).

Au-delà de l’aspect esthétique, plutôt brut ; au-delà de la forme et de la structure architecturale, plutôt insolite, comment comprendre ce monument ? Un monument inhabituel, original, unique, qui – à notre connaissance – n’a pas son pareil dans l’architecture religieuse de cette partie du monde (aire indienne et extrême orientale), ni dans l’espace, ni dans le temps.

L’intentionnalité religieuse est évidente car c’est l’une des – sinon LA – pièce(s) maîtresse(s) de ce parc voué essentiellement à la religion bouddhiste et pour partie à la religiosité indienne qui l’a précédée (les Védas, le brahmanisme) et celle qui l’a suivie (l’hindouisme) le bouddhisme et ses diverses composantes (Grand et Petit véhicule, Lamaïsme, Zen…).

Monument religieux certes, mais bien singulier. Quel symbolisme recèle-t-il ? Quelle est sa fonction ? À quelle démarche spirituelle répond-il ?

La Tour de la citrouille est composée de trois plans représentant trois niveaux religieux : l’enfer, la terre et le ciel. L’enfer, c’est le « ventre » du monument, l’intérieur, comme nous le verrons ci-après ; la terre, c’est la plateforme de laquelle on contemple l’ensemble du parc (et ses « histoires ») ; le ciel, c’est le mât, sorte d’arbre, d’échelle et de flamme qui s’élance vers les cieux.

À l’évidence, nous sommes en présence d’une représentation d’un centre sacré, un lieu physique et symbolique où se matérialise un lien entre la terre et le ciel, entre les hommes et les dieux, le monde profane et le monde spirituel.

Dans l’histoire de l’humanité ces sites sont aussi bien des lieux naturels – montagnes sacrées, grottes – que de simples totems ou poteaux sacrés, ou/et des monuments grandioses construits par l’homme, dont les plus accomplis sont les ziggourats babyloniennes et les temples aztèques ou, proche du Laos, les temples khmer du Cambodge, avec leurs formes de « temples-montagnes ».

Dans une perspective bouddhiste, la « citrouille » du Buddha Park apparaît aussi comme une illustration du monde des apparences : l’enveloppe matérielle, c’est ce monde-ci, notre « réalité », perçue comme contrainte, illusoire, « aliénée ». L’ascension interne (dans le « ventre »), puis externe, avec l’accession à la lumière (plateforme), puis l’élan vers le ciel (mât-échelle), représenteraient l’aspiration à la « délivrance » finale qui s’acquiert par le détachement des choses matérielles, l’extinction des désirs, la foi et une discipline physique (…ascétisme, pratiques de type yoga), morale et spirituelle.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. La gueule du démon : bouche de l'enfer. Tour de la citrouille. Photo Serge Panarotto.
Buddha Park. Laos. La gueule du démon : entrée de la Tour de la citrouille.

On pénètre dans la structure par la gueule grande ouverte d’un monstre. Le visiteur passe de la lumière à l’ombre. L’intérieur est sombre, chichement éclairé par quelques ouvertures étroites. La progression se fait par un parcours accidenté et embarrassé qui monte en spirale vers la plate-forme supérieure. Autour de nous, des sculptures représentant des êtres diaboliques, des scènes de tortures et la mort. Nous somme typiquement dans un « enfer » qu’il nous faut traverser avant d’accéder à la lumière.

Le Bouddhiste connaît aussi l’enfer ou plutôt les enfers, car il y en a plusieurs (huit enfers brûlants et huit enfers glacés dans une des traditions). Naraka, désigne ces enfers dans l’hindouisme, le jaïnisme et le bouddhisme. Matériellement, ils sont figurés par des scènes proche de l’enfer des chrétiens tels que figurés au Moyen Âge, avec ses tortures atroces, diverses et perverses. Mais, il y a une différence fondamentale : dans les cultures religieuses asiatiques, la damnation n’est pas éternelle et infinie pour le pécheur, comme dans les religions occidentales ; quelle que soit la durée des supplices, qui peut être fort longue, tout au bout, il a la possibilité d’en sortir et à travers le cycle des renaissances, de se « racheter » par le respect des préceptes religieux et par la méditation et/ou la pratique de l’ascèse, et même d’atteindre la délivrance.

Cette forme, de « citrouille », de coque, de « ventre », creuse, brute, mystérieuse, peut être aussi assimilée à une grotte et/ou à une matrice, assimilations que l’on retrouve au cœur du riche complexe symbolique « initiation-mort-renaissance » présent dans la presque totalité, sinon la totalité, des parcours religieux anciens.

Matrice-utérus

Dans cette perspective de mort-renaissance, pour de nombreux peuples, certaines grottes sont assimilées aux « entrailles de la Terre » et à des utérus féminins. Lors des initiations, le néophyte est « tué » lors des épreuves qu’il subit, puis, au sein de cette matrice qu’est la grotte sacrée, il redevient embryon, puis fœtus ; par les enseignements qu’il reçoit alors de ses « maîtres », humains ou Esprits, il entre dans une gestation nouvelle au bout de laquelle il « renaît » en un homme nouveau socialement et spirituellement. L’épithète de « deux fois né » est attribuée au Brahmane consacré et est souvent conférée à l’initié. Le parcours au sein de la « citrouille » de Buddha Park – les « tortures » de l’enfer puis la montée vers la lumière – reprend assez fidèlement cette démarche.

Le « ventre de la bête »

Dans les religions « primitives », ou « premières » comme il convient de dire aujourd’hui, aussi bien en Afrique subsaharienne qu’en Australie, dans le chamanisme nord asiatique et amérindien, comme dans les cultes à « mystères » de l’Antiquité ou les sociétés secrètes de guerriers germaniques ou encore, sous forme de traces résiduelles dans les contes et légendes de l’Europe médiévale, le passage dans le « ventre de la bête » est une épreuve initiatique obligée, difficile et dangereuse, mais dont le néophyte sait qu’il en sortira et, qu’à la fin, il trouvera la lumière, c’est-à-dire la Connaissance.

Cette référence au « ventre de la bête » n’est pas qu’une image facile ; là encore, nous retrouvons un symbolisme quasiment universel lié aux initiations : le néophyte est « avalé » par un monstre, puis délivré, renaissant à une autre condition spirituelle ou/et sociale supérieure au commun des mortels ; la « bête » avale le novice, le « digère », puis le recrache ressuscité/initié.

On retrouve ce schéma sous forme de fables, de contes et de légendes, dans le folklore de nombreux peuples et de paraboles dans les grandes religions ; dans la Bible, par exemple, si l’on suit les interprétations des exégètes juifs et chrétiens, Jonas, avalé puis recraché par la baleine, en est une des illustrations.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Shiva et Pârvatî et leurs fils Kârttikeya et Ganesh. Photo Serge Panarotto.
Buddha Park. Laos. « Citrouille tower ». Décor : Shiva et son fils Kârttikeya et Pârvatî (épouse et shakti de Shiva) et son fils Ganesh.

Descentes aux enfers

Les autres références qui viennent à nos esprits occidentaux, ce sont les mythes des « descentes aux enfers » : Gilgamesh dans la tradition suméro-akkadienne (Mésopotamie), Orphée en Grèce, Isis et Osiris dans la religion égyptienne et dans son extension (et réinterprétation) dans tout le monde gréco-romain, Dante et son épopée littéraire et morale à la Renaissance…

Ces descentes du héros ou de l’héroïne dans le monde souterrain, royaume de la Mort et des « ombres », sont interprétées comme une quête d’immortalité (…souvent ratée quand elle n’est que physique). Immortalité (corporelle ou/et spirituelle) pour soi, ou pour un proche, parent, ami, amour, dont on refuse l’anéantissement… Les épreuves alors affrontées sont terribles, à la fois physiques (luttes, combats), mentales (vaincre sa peur) et intellectuelles (résoudre des énigmes liées à la Connaissance).

À l’intérieur de notre « citrouille » laotienne, lorsqu’on monte, dans une semi obscurité, vers la terrasse supérieure (la lumière), le parcours est bordé de petite statues représentant des scènes de tortures dont certaines peuvent être mises en parallèle avec les visions de « dépècement » décrites par des yogis, les visions de démembrement et de mise à nu du squelette, rapportées par les chamans nord asiatiques ou le mythe d’Osiris.

Une fois encore, nous retrouvons le schéma : mort, épreuves initiatiques, remontée vers la lumière, renaissance et dans l’interprétation indo-bouddhiste, chemin vers la Délivrance.

Pour les bouddhistes et pour les traditions et pratiques mystiques orientales, l’Enfer c’est la tentation et l’enfermement (aliénation) dans le monde des apparences, des illusions. Le but ultime, c’est d’y échapper, d’atteindre la Délivrance. Il ne s’agit pas de recherche d’immortalité physique (du corps ou même d’une âme individualisée), comme dans les traditions religieuses ou/et ésotériques moyen-orientales et occidentales ; ce que le sage vise, c’est l’Inconditionné, un état indéfinissable (…pour nous) où le Moi se dissout dans le cosmos, l’univers, l’Esprit… le nirvana, pour employer un terme facile (mais il en est bien d’autres…) rendu célèbre par la vulgarisation de la connaissance religieuse orientale, mais que nous sommes incapables ni de définir, ni de comprendre, car il relève de la pratique et de l’expérimentation d’une ascèse physique et spirituelle.

Nous avons vu plus haut que pour le bouddhiste, dans l’alternance des cycles mort-renaissance (réincarnation), par ses mérites accumulés et la pratique de l’ascèse, le sage peut atteindre la sainteté et, au-delà, la délivrance finale.

Une dernière remarque pour terminer l’examen du « ventre » de la citrouille. Sur le parcours à l’intérieur vous remarquerez que des scènes modelées présentes en grand à l’extérieur, dans le parc, sont reprises en miniature à l’intérieur de la structure. Nous touchons là encore à un mode de pensée quasi universel qu’on retrouve dans de nombreuses pensées et religions de part le monde : le rapport de correspondance, de sympathie causale, entre microcosme et macrocosme. Le particulier est l’image de la totalité, et vice-versa ; ils agissent l’un sur l’autre. Le terrestre et l’humain ont des modèles dans l’univers et dans le divin et interagissent l’un sur l’autre, d’où l’idée qu’en agissant sur un modèle réduit, on peut influencer le modèle originel ; la poupée Vaudou que l’on pique pour atteindre celui qu’elle représente en est un exemple trivial mais parlant ; c’est aussi un des fondements des rituels : l’autel sur lequel le prêtre indien sacrifie est, à l’échelle humaine (microcosme), la représentation imagée de la Création (macrocosme). Il n’y a pas lieu de développer plus avant ces notions car cela nous entraînerait loin de notre sujet ; notons simplement que ce mode de pensée est présent ici et a certainement accompagné la conception et la réalisation du Buddha Park.

Architecturalement pauvre, puisqu’il ne s’agit que de la terrasse bombée et étroite qui forme le sommet du corps de la « citrouille », cet espace est néanmoins important car c’est à partir de là que l’on embrasse de la vue le reste du parc. De là-haut, lorsqu’on regarde autour de soi, on contemple – à 360 ° – le Monde, ici représenté par les statues qui chacune porte une histoire et un enseignement.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Photo Serge Panarotto.
Buddha Park. Tanon Tha Deua. Laos.

Cet ensemble de scènes modelées dans le béton représente le monde physique perçu par nos sens (la Terre, les hommes, les animaux, les plantes…) mais c’est aussi la matérialisation de représentations mentales et spirituelles : contes, légendes (le Ramayana), croyances, rites et pratiques religieuses (hindouisme et enseignements du Bouddha). Dans cette partie de l’Asie (régions sous influence culturelle et religieuse indienne) il n’y a pas de séparation nette – comme dans la pensée occidentale – entre le monde physique (la Nature…) et l’activité psycho-mentale qui comprend aussi bien la pensée rationnelle que les rêves ainsi que le monde de la culture et ses projections (mythologie, croyances, idées…). Matière et Pensée ne forment qu’une seule totalité. Pour le commun des mortels, c’est cela notre « réalité », mais pour le sage indien et pour le bouddhiste en recherche de la perfection, ce n’est qu’un monde d’apparence, une illusion de laquelle nous sommes prisonniers et dont il faut chercher à se « délivrer ».

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Photo Serge Panarotto.
Buddha Park. Tanon Tha Deua. Laos.

Revenons sur la plateforme. Au premier plan, à votre droite (à l’ouest, au couchant…), on voit immédiatement une statue monumentale qui pourrait être Brahmā, avec sa tête à quatre visages et ses bras multiples. Dieu créateur et organisateur du monde, premier membre de la Trimūrti, la trinité des divinités hindoues majeures (les deux autres sont Vishnou et Shiva), Brahmā est aussi reconnu par le bouddhisme comme un dieu important. Ses quatre visages sont tournés vers les quatre horizons et représentent les quatre védas (textes sacrés fondateurs de la religion indienne primitive) et les quatre voies de fonctionnement de la pensée : l’esprit (manas), l’intellect (buddhi), l’ego (ahamkara), et la conscience conditionnée (citta).

Cette tête à quatre visages est surmontée d’une tiare formée de couronnes étagées composée, en tailles décroissantes, de crânes, puis de têtes portant diadèmes (humains ? princes ? divinités ?), de têtes de démons et de nagas, le tout se terminant par une petite obélisque elle-même ornée de quatre visages.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Tiare sur la tête à 4 visages. Photo Serge Panarotto.
Buddha ParK. Laos. Enigmatique pièce montée sur la tête à 4 visages.

Au bout des bras de la divinité, les mains portent des personnages en pied dans une attitude de marche. Cette statue majestueuse est posée sur un bassin au centre d’un espace délimité par une balustrade. Sur la balustrade, tout autour de ce sujet central sont placées des statues de héros et de divinités. Vu d’en haut (la plateforme), l’impression ressentie est celle du mouvement, de la rotation. Cette circumambulation, pratique courante autour des temples et des objets sacrés dans toutes les religions, pourrait évoquer un concept cardinal pour l’hindouisme ET pour le bouddhisme : la « roue » de l’existence. Celle-ci symbolise à la fois le cycle de chaque vie, mais aussi le cycle des renaissances auquel est soumis chaque existence (le samsara). Mais peut-être vais-je trop loin dans l’interprétation…

Revenons à notre poste d’observation en haut de la « citrouille ».

À votre gauche (à l’Est, au levant…), votre regard se porte immanquablement sur le grand Bouddha couché en position de « nirvana » car il a atteint l’Éveil. Il symbolise la Délivrance, l’aboutissement de la Voie enseignée par le Bouddha.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Allée du Bouddha couché. Photo Serge Panarotto.
Buddha Park. Tanon Tha Deua. Laos. Le Bouddha couché.

Entre les deux, dans la profondeur du parc, tout un peuple de statues et une multiplicité de scènes figurent des épisodes de la vie terrestre et de l’enseignement du Bouddha et des représentations de dieux, de déesses, de démons et de personnages de la religion et de la mythologie indienne, ainsi que des scènes tirées du Ramayana (nous y reviendrons un peu plus bas dans ce texte). Il me semble, à moi, que le Bouddha couché (…la Délivrance) est l’aboutissement, la fin du parcours de ce parc féérique et brut.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Allée du Bouddha couché.
Buddha Park. Tanon Tha Deua. Laos. Bouddha couché.

En attendant, avant de descendre et de s’y promener, relevons la tête.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Tour de la citrouille. Plateforme et mât. Photo Serge Panarotto.
Buddha Park. Laos. Citrouille tower. Le mât-flamme.

Pour cette forme, gracile et élancée, plusieurs interprétations sont possible ; interprétations qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre, mais, au contraire, complémentaires et probablement simultanées dans la conscience religieuse du croyant ou du néophyte.

Ce « mât » établit un lien entre la terre et le ciel, entre les hommes et les dieux. Nous avons affaire à un symbolisme très archaïque. Dans de nombreuses cultures, lors de circonstances particulières, ou avant la « chute » et une séparation radicale due à une catastrophe ou à une faute, les humains (ou quelques humains), pouvaient rencontrer les dieux et se déplacer entre la terre et le ciel.

Cette ascension se faisait soit par une échelle, soit par une plante miraculeuse, soit par d’autres moyens. Les chamans nord-asiatiques montent symboliquement au ciel en escaladant un arbre ou une échelle pour y rencontrer leurs esprits protecteurs ou d’autres entités spirituelles. Dans les védas (Inde antique), lors de rites, le sacrificateur monte sur une échelle. Dans les rites initiatiques des mystères grecs, d’après le peu que l’on sait, une échelle était aussi présente. On pourrait également évoquer, dans la Bible, le symbolisme de l’échelle de Jacob qui permet aux anges de se déplacer entre la terre et le ciel.

L’autre voie pour réaliser cette connexion est une liane ou une plante grimpante qui permettait aux hommes de rejoindre le ciel et aux dieux de descendre sur terre. Ce symbolisme est lui aussi quasi universel. On le retrouve, tel quel ou dégradé, dans des mythes, des légendes et des contes un peu partout et dans de très nombreuses cultures sur la planète. Une fois coupée par un héros ou à cause d’une catastrophe, les hommes sont définitivement séparés des dieux… On pourrait en discerner la trace dans le folklore européen dans le conte anglais « Jack et le haricot magique »  par exemple ; mais revenons en Asie. Nous verrons un peu plus bas, qu’un mythe typiquement laotien correspond aussi presque parfaitement à cette interprétation.

Le mât représente l’arbre cosmique, idéalement situé au centre du monde. Cette notion, paradoxale car ce « centre » est unique et multiple, puisqu’on en trouve une multiplicité en divers lieux sacrés, est présente dans presque toutes les religions, qu’elles soient archaïques ou très élaborées. Comme cet arbre est à la fois une représentation du monde (…de l’univers) et un « centre » où a lieu la communication entre les différents niveaux cosmiques (ciel, terre, enfer…), cette interprétation entre en résonance avec celle que nous venons de voir ci-dessus et une autre notion que nous aborderons plus bas : la correspondance microcosme-macrocosme.

Plus spécifique aux cultures religieuses indo-asiatiques, cette structure peut s’apparenter à une sorte de flamme qui monte au ciel… L’Ushnîsha est la flamme placée au sommet du crâne des bouddhas thaïs (période Sukkothaï XIIIe, XVe siècles) ; elle symbolise la force spirituelle. On retrouve aussi cette sorte de flamme sur la tête de divinités hindoues. Dans le lamaïsme, les flammes sont la manifestation de la « chaleur mystique » ; elles jaillissent de la tête de ceux qui ont transcendé la condition humaine (les yogis).

Pour en terminer avec ce lien entre la terre et le ciel, et cette appellation de « citrouille » donné à ce monument, évoquons une légende spécifiquement laotienne. Pour les Laotiens, la « citrouille » rappelle un des mythes fondateurs du peuple Lao qui explique la naissance des hommes (et leur différence raciale et sociale) et la rupture du lien avec les dévas (divinités).

Pou Nyeu et Nya Nyeu, un couple de très vieilles et très laides personnes, effrayaient les enfants des dieux ; ceux-ci, mécontents, les exilèrent sur la terre qui était alors couverte d’eau. En piétinant et en dansant, les aïeux firent émerger le sol ferme. Comme ils se trouvaient très seuls, ils demandèrent aux dieux de la compagnie. Les dieux jetèrent sur la terre trois graines de courges. Quand elles furent mûres, de chacune d’elles sortirent des hommes représentant les peuples qui habitent le Laos.

Ces hommes devinrent turbulents et oublièrent de rendre grâce aux divinités qui se fâchèrent à nouveau et lancèrent une graine vers la terre. Celle-ci devint une plante géante qui peu à peu monta vers le ciel et, cachant le soleil, couvrit la terre de son ombre, la rendant stérile et invivable. Comme personne n’osait s’y attaquer, Pou Nyeu et Nya Nyeu, les ancêtres, se sacrifièrent ; ils coupèrent à la hache cette plante qui en s’effondrant les ensevelit. C’est depuis ce jour que le lien entre les hommes et les divinités et entre la terre et le ciel fut définitivement rompu. Cette légende locale a-t-elle influencé le créateur du site quant il donna forme à son monument ? On ne peut pas le savoir, mais pour les laotiens connaissant leur histoire mythique, le nom de « citrouille », ne peut que l’évoquer.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Photo Serge Panarotto.
Buddha Park. Tanon Tha Deua. Laos.

Je ne m’aventurerai pas à décrire la profusion des personnages et des scènes représentées car cela nous amènerait trop loin et cet article est limité, mais surtout cela dépasse largement mes compétences. Je n’ai pas assez de connaissances pour comprendre et déchiffrer toutes les histoires figurées par les statues et les groupes sculptés, ni pour saisir pleinement les rapports et affinités qui s’établissent entre ces figures. Je suis conscient que leur sens religieux et moral, ainsi que l’enseignement qu’elles véhiculent, m’échappent. Ils sont, pour l’essentiel, hors de ma compréhension d’occidental, trop contrainte par une raison trop cartésienne. N’ayant pas les codes et la culture qui me le permettraient, je dois me contenter, comme tout un chacun, d’en admirer l’esthétique et la puissance créative. Mais je sens et je sais que la sacralité qui a motivé ce déploiement monumental est toujours présente, enfouie, sous-jacente au spectacle qui nous est désormais présenté comme une simple attraction touristique.

Wat Xieng Khuan. Tanon Tha Deua. Laos. Ramayana : le géant Ravana enlève la princesse Sita. Photo Serge Panarotto.
Buddha Park. Laos. Le géant Ravana enlevant la princesse Sita.

Juste quelques mots sur le Ramayana, puisqu’il occupe une belle place dans la statuaire du jardin. Livre sacré Indien, bi-millénaire, ce conte, immensément populaire de l’Inde à l’Asie du Sud Est, est une épopée littéraire aux multiples personnages, princes et princesses, guerriers, ermites, esclaves, dieux et déesses, géants, monstres… vivant des aventures, péripéties et rebondissements extraordinaires ; mais, c’est aussi une histoire aux significations cachées, cosmogoniques et religieuses (Rama, le héros, est un avatar du grand dieu Vishnu). Il en existe des versions locales : thaï, cambodgienne, indonésienne, birmane… et, bien sûr, laotienne. Cette épopée lyrique inspire les contes, les danses traditionnelles de ces pays et le théâtre d’ombre. Dans le Buddha Park, une des statues les plus imposantes représente l’enlèvement de la princesse Sîta par le roi des géant Ravana, scène primordiale de l’histoire qui déclenche la quête de Rama et les événements et la guerre entre les clans qui forment la trame de l’histoire.

Même s’il conte bien des merveilles et donne à voir un monde féérique et légendaire, rappelons que la raison d’être de ce site est d’illustrer la vie et l’enseignement du Bouddha.

La source de sacralité qui a généré sa création n’est pas totalement tarie. Lieu sacré transformé en parc d’attraction pour touristes occidentaux et chinois, Buddha Park reste pour les Laotiens et les Thaïs un espace de spiritualité, de croyance et de culte, comme le prouvent les offrandes nombreuses de fleurs, de riz et d’encens qui garnissent les autels et le pied des statues.

Il y a un grand mystère autour de la vie de Bunleua Sulilat, le créateur du parc. Moine (non ordonné) ? « Chaman » ? Initié ? Arhat (« saint » bouddhiste) ? Difficile à dire…

Offrandes à Bunleua Sulilat. Sala Keokou Park. Nong Khai. Thaïlande. Photo Serge Panarotto.
Autel dédié à Bunleua Sulilat à Sala Keokou. Nong Khai. Thaïlande.

Né le 7 juin 1932, à Nong Khai, en Thaïlande, il y est mort le 10 aout 1996, à l’âge de 64 ans.

Selon sa légende, jeune homme il se retira dans une grotte pour y recevoir l’enseignement d’un ermite nommé Keoku qui devint son guide spirituel. Entre 1958 et 1975, il crée le Buddha Park, avec quelques disciples et l’aide de nombreux donateurs, à Thanon Tha Deua, au Laos. Chassé par la prise du pouvoir des communistes à Vientiane, en 1975, il recrée un autre parc similaire en Thaïlande, à Nong Khai, sa ville de naissance : Sala Keoku Park. Les deux sites se répondent ; ils sont presque en face l’un de l’autre, de part et d’autre du Mékong qui marque la frontière entre les deux pays. Pour bien mesurer l’ampleur de ces créations monumentales et spirituelles, il est aisé de visiter les deux, il n’y a que deux ou trois dizaines de kilomètres à parcourir… et une frontière à traverser.

Parc de sculptures Sala Keokou. Nong Khai. ThaÏlande. Photo Serge Panarotto.
Sala Keokou. Nong Khai. ThaÏlande. Le grand Naga.

Texte et photos Serge Panarotto

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